” Ecoutons et méditons loin du tumulte.
Tandis que la Cigale éventrée proteste, la fête se poursuit là-haut sur les platanes avec changement d’orchestre. C’est maintenant le tour des artistes nocturnes. Aux alentours du point de carnage, dans le fouillis de verdure, une oreille fine perçoit le susurrement des Sauterelles. C’est une sorte de bruit de rouet, très discret, vague frôlement de pellicules arides froissées. Sur cette sourde basse continue éclate, par intervalles, un cliquetis précipité, très aigu, presque métallique. Voilà le chant et la strophe entrecoupée de silences. Le reste est l’accompagnement. Malgré ce renfort d’une basse, maigre, très maigre concert après tout, bien qu’il y ait dans mon étroit voisinage une dizaine environ d’exécutants. Le son manque d’intensité. Mon vieux tympan n’est pas toujours capable de saisir ces subtilités sonores. Le peu que j’en recueille est d’extrême douceur, on ne peut mieux approprier au calme des lueurs crépusculaires. Un peu plus d’ampleur encore dans ton coup d’archet, Locuste verte ma mie, et tu serais un virtuose préférable à la rauque Cigale, dont on t’a fait usurper le nom et la réputation dans les pays du Nord. Tu n’égalerais cependant jamais ton voisin, le gentil Crapaud sonneur de clochettes, qui tintinnabule à la ronde, au pied des platanes, tandis que tu cliquettes là-haut. C’est le plus petit de ma population batracienne, le plus aventureux aussi en expéditions. Que de fois, aux dernières lueurs du soir, ne m’arrive-t-il pas de le rencontrer lorsque, faisant la chasse aux idées, j’erre au hasard dans le jardin ? Quelque chose fuit, roule en culbutes devant mes pas. Est-ce une feuille morte déplacée par le vent ! Non, c’est le mignon Crapaud que je viens de troubler dans son pèlerinage. Il se gare à la hâte sous une pierre, une motte de terre, une touffe de gazon, se remet de son émotion et ne tarde pas à reprendre sa limpide note. En cette soirée d’allégresse nationale, ils sont bien près d’une douzaine sonnant à qui mieux mieux autour de moi. La plupart sont blottis parmi les pots à fleurs qui, disposés en rangs pressés, forment un vestibule devant ma demeure. Chacun a sa note, toujours la même, plus grave pour les uns, plus aiguë pour les autres, note brève, nette, remplissant bien l’oreille et d’une exquise pureté.
D’un rythme lent, cadencé, il semble psalmodier des litanies. Cluck, fait celui-ci ; click, répond cet autre à gosier plus fin ; clock, ajoute ce troisième, ténor de la bande. Et cela se répète indéfiniment, comme le carillon du village en un jour férié : cluck, click, clock ; cluck, click, clock. L’orphéon batracien me remet en mémoire certain harmonica, ma convoitise lorsque, pour mon oreille de six ans, commençait à devenir sensible la magie des sons. C’était une série de lames de verre d’inégale longueur, fixées sur deux rubans tendus. Un bouchon de liège au bout d’un fil de fer servait de percuteur. Imaginez une main novice frappant au hasard sur ce clavier, avec la brusquerie la plus désordonnée d’octaves, de dissonances, d’accords renversés, et vous aurez une image assez nette de la litanie des Crapauds. Comme chant, cette litanie n’a ni queue ni tête ; comme sons purs, c’est délicieux. Il en est ainsi de toute musique dans les concerts de la nature. Notre oreille y trouve de superbes sons, puis s’affine et acquiert, en dehors des réalités sonores, le sentiment de l’ordre, première condition du beau. ” (Jean-Henri Fabre – Les Merveilles de l’instinct chez les Insectes –
Morceaux choisis : Extraits des Souvenirs Entomologiques – La Sauterelle verte.)
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Composition, arrangement, interprétation, captures sonores, enregistrement, montage, mixage, mastering et production: Yannick Lemesle
Conception graphique et photos : Yannick Lemesle
Wetland band orchestra | 15″00′
Au bord de la mare se joue la tragédie lyrique d’un lieu de vie foisonnant aux couleurs crépusculaires dessinant un paysage sonore singulier, écho d’un système vital. Le chant « flûté » des solistes Alytes accoucheurs s’expose dans une fugue qui s’interrompt, menacé par les vocalises d’une Chouette swinguant de branches en branches en approche de sa proie batracienne. Le coassement de Grenouilles insouciantes résonne dans un nocturne imaginaire. Un Héron survole le clapotis de l’eau. Le diapason des chants de grillons puis le bourdon d’un Syrphe voletant crée une nébulosité teintant une atmosphère faisant allusion à la sonorité euphonique mystérieuse de l’orgue à bouche Shô de la musique traditionnelle japonaise Gagaku. Une immersion poétique orchestrée à l’orée de la zone humide.
Murmure manifeste à l’oreille de Pierre Henry | 17”52′
La Murmuration est un anglicisme désignant un phénomène naturel de rassemblement qui se produit lorsque plusieurs milliers d’oiseaux forment un incroyable nuage opaque dessinant des figures mobiles dans le ciel, on parle aussi du murmure des oiseaux. Dans cette oeuvre sonore, le bruissement du vent dans les herbes, la clameur d’un vol d’oies sauvages, une nuée de moustiques, un murmure d’hirondelles, des conversations de Chiroptères se manifestent comme un écho acoustique à la difficulté de s’accorder collectivement pour faire harmonie, orchestre. L’air vibrant dans les embouchures ou les anches propose l’étude d’un rythme insolite du phénomène à la recherche d’une synchronicité où rebonds et ricochets musicaux convoquent la mémoire de certaines créations électroacoustiques de Pierre Henry.
Funestes anthropophonies Part.1 et 2
Une mise à l’écoute à hauteur d’herbe, de l’impact éloquent des nuisances sonores sur nos écosystèmes fragiles. Cette création nous invite à pénétrer un paysage sonore de stridulations souvent inaudibles à notre oreille nue d’individu dressé vers le ciel pour la vision, doté de la bipédie, éloignant ainsi notre perception auditive du sol vivant. Elle est un voyage à la découverte de la diversité des chants rythmiques et discrets, des Orthoptères* qui nous fredonnent une délicate complainte de frottements d’élytres et de racloirs. Une large gamme de signaux sonores impliqués dans la sélection sexuelle et la territorialité, rendue difficilement discernable, voire absente de notre environnement saturé des bruits de l’activité humaine. Métaphore d’une lutte acoustique à armes inégales, dans laquelle archets, plectres et râpes ne sont pas de taille contre les sons du trafic routier et aérien, des machines du monde agricole, celui-ci n’hésitant pas à blanchir les surfaces de serres par hélicoptère (cf. Part.2) pour protéger les cultures de la chaleur estivale. * Sauterelles, criquets et grillons
Biophonies : Sauterelles, Criquets, Grillons, Cigales, Moustiques , nombreux Bourdonnements (Syrphes/Mouches/Hyménoptères/Zygènes ), Hérons, Oies en vol, Nuée d’Hirondelles, Merles, Etourneaux, Rouge-gorge, Fauvette et divers Passereaux, Chouette Hulotte, Chiroptères, Grenouilles, Alytes accoucheurs,…
Géophonies : Vents, Tonnerre, ruisseaux.
Anthropophonies : Voix humaines, Voitures, Motos, Vélomoteurs, Avions de tourisme et de ligne, Hélicoptère, Tracteur, Motoculteur.
Instruments : Piano, Violons, Violoncelles, Contrebasse, Dulcimer, Hautbois, Clarinettes, Flûtes, Tubas, Trombones, Accordéons, Electroniques, Instruments cinématiques, Percussions.