Les chiffres autour de la disparition des insectes sont alarmants. Les insectes sont pourtant indispensables à notre survie. Quelles sont les causes de cette catastrophe ? Quelles en sont les répercussions et comment parvenir à inverser le cours de cette extinction à bas bruit ?
On peut attribuer ce déclin à une combinaison de facteurs de stress causés par l’homme incluant la perte d’habitat, l’exposition chronique aux mélanges complexes d’insecticides, la diffusion de maladies non-indigènes, des premiers impacts du changement climatique…
D’après l’étude Krefeld menée sur 26 ans par des entomologistes amateurs et professionnels, dans les réserves naturelles d’Allemagne, la biomasse totale des insectes prise au piège a chuté de 75 %. Dans les années 1920, le Royaume-Uni comptait environ 3 millions d’hectares de collines et prairies, or plus de 97 % ont disparu au cours du XXe siècle. Au Royaume-Uni, également, les aires géographiques de 13 de 23 espèces de bourdons ont diminué de plus de 50 % entre 1960 et 2012 et deux espèces se sont éteintes.
Dave Goulson a toujours été intéressé par les insectes, ses premiers souvenirs remontent à l’âge de 5 ou 6 ans alors qu’il observait des chenilles à rayures jaune et noir grignoter les mauvaises herbes.
Par la suite, il s’est spécialisé dans l’étude des bourdons
Ils sont pour lui les insectes les plus attachants, “les bourdons sont des créatures intelligentes, les géants intellectuels du monde des insectes, capables de s’orienter, de mémoriser des points de repère, des emplacements des parcelles de fleurs, d’extraire avec efficacité les récompenses cachées dans les fleurs plus complexes” écrit-il.
Peu de gens comprennent à quel point les insectes sont importants pour notre propre survie écrit-il dans son dernier livre “Terre silencieuse” et encore moins à quel point ils sont beaux intelligents, fascinants, mystérieux et merveilleux.
Dans cet ouvrage, il aborde les raisons de l’effondrement des populations d’insectes, qui sont notamment les pesticides, depuis les années 40 qui tuent les insectes. À partir des années 40, les produits chimiques “anti-nuisibles” font leur entrée, avec le DDT, avec les avermectines entre les années 70 et 80 pour tuer les parasites, et avec les néonicotinoïdes, le spinosad et le fipronil dans les années 90. Malgré les alertes concernant l’impact de ces produits chimiques, de nouvelles générations sont apparues et continuent d’aggraver le déclin des insectes.
En 1990, les agriculteurs du Royaume-Uni ont traité 45 millions d’hectares de terres arables avec des pesticides et 73 millions d’hectares en 2016.
Leur déclin nous signale que le réseau fragile de la vie commence à voler en éclats sur notre planète précise Dave Goulson.
Des papillons aux bourdons
Plus jeune, le scientifique s’intéressait aux papillons. « Mais, je me suis rendu compte qu’ils étaient beaux, mais bêtes. À côté, les abeilles sont de grandes intellectuelles. Et, le bourdon a, lui, un système de navigation extraordinaire. Il mène une vie sociale très compliquée avec des conflits, des régicides… C’est dingue la vie des bourdons ! Et le plus important : écologiquement, en tant que pollinisateur, il a un rôle majeur. Mais le cafard ou le perce-oreille, même s’ils sont mal aimés, ont un rôle très important aussi. »
Un plaidoyer pour faire aimer les insectes
Le professeur anglais Dave Goulson passe beaucoup de temps à tenter de faire aimer les insectes : « Je trouve qu’ils sont fascinants. J’en suis convaincu depuis tout petit. J’ai l’impression que si vous passez un peu de temps proches d’eux à les observer, très vite, vous allez les aimer, et les trouver magnifiques, malgré leur complexité. Surtout, ils sont essentiels. L’écosystème ne fonctionnerait pas sans eux ! »
En 2017, l’étude Krefeld parue dans PloS One
Une enquête menée par des entomologistes amateurs et professionnels qui ont capturé des insectes dans la campagne allemande pendant 27 ans a rendu des conclusions alarmistes : « Cela nous a donné des informations sur le long terme, sur toutes les espèces d’insectes volants. Quand j’ai vu les premiers chiffres, je ne voulais pas y croire : 76 % de déclin ! Donc, en Allemagne, environ les trois-quarts des insectes ont disparu pendant la moitié du temps de ma vie ! D’autres études sont d’ailleurs venues ont confirmé ces chiffres. Le plus inquiétant est que cet effondrement a dû commencer 50 ans auparavant. Donc nous assistons peut-être qu’à une partie de ce déclin…»
Dave Goulson, cette chute d’effectif des insectes provient « De l’agriculture qui a beaucoup changé. Elle est passée d’une pratique tranquille à une industrie qui emploie des produits chimiques : fertilisants, pesticides… Et les cultures ont augmenté. C’est impossible pour les insectes, dont les bourdons, de survivre. C’est sans doute la cause principale. Mais il existe d’autres facteurs : le réchauffement climatique commence à jouer sur la survie des bourdons. Lorsqu’il fait trop chaud, ils peinent… Tous les insectes de nuit sont touchés. Les insectes sont très résistants. Cela fait 480 millions d’années qu’ils sont là. Ils ont survécu aux dinosaures, mais ils ne peuvent pas affronter ce bombardement de choses qui leur arrive en ce moment. »
Ils se sont effondrés partout sur la planète, mais on regarde ailleurs
La situation des insectes sur la planète est vraiment critique… Et tout le monde s’en fiche. Pour Dave Goulson : « La plupart des gens ne pensent jamais aux insectes. Ils passent leur vie à gagner de l’argent, à s’occuper des enfants… Donc toutes ces petites créatures qui vivent tout autour d’eux, ou sous leurs pieds, et qui ont un rôle écologique vital… Ils ne les voient pas. Ils n’apparaissent pas dans leurs radars. Or, ces créatures font un travail énorme pour nous. Et qu’on le veuille ou non, notre destin est lié au leur. »
Il existe des solutions
« Il faudrait former les agriculteurs. Des solutions alternatives pesticides existent, et elles sont efficaces. Pendant des centaines d’années, cela a été le cas ! Et puis, on peut utiliser les insectes prédateurs. Pour lutter contre les constructions de maisons au détriment de la nature, on peut penser à planter des fleurs sauvages dès que c’est possible. C’est excellent pour les abeilles ! On doit laisser pousser des mauvaises herbes et se méfier des produits anti-parasitaire donnés aux animaux domestiques. Chez le vétérinaire, on leur recommande de mettre des colliers anti-puces même s’ils n’en ont pas. Or, les produits chimiques utilisés coulent le long du cou, du chien ou du chat, et ce sont des neurotoxines absolument terribles pour les insectes. Ce sont des néonicotinoïdes très puissants utilisés dans la nature. Mais ce n’est pas facile à dénoncer. J’ai moi-même été la victime de lobbie des pro-chimie.»
La suite est à écouter… https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-du-mercredi-22-mars-2023-7102515
Dave Goulson, professeur de biologie à l’université de Sussex et auteur de Terre silencieuse. Empêcher l’extinction des insectes, traduit par Ariane Bataille, éditions du Rouergue
Merci pour cette retranscription de l’interview. Participation artistique au débat. Dessinatrice, j’ai réalisé sur ce sujet une série de dessins évoquant, par une suite d’abeilles mortes, la pollution par les substances chimiques et les pesticides utilisés dans l’agriculture. A découvrir : https://1011-art.blogspot.com/p/vous-etes-ici.html. Mais aussi, en lien direct, une réflexion sur l’utilisation des produits phytosanitaires : https://1011-art.blogspot.com/p/hommage-magritte.html